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jeudi 16 février 2017

Moxyland..........un roman de Lauren Beukes

Titre : Moxyland
Auteure sud-africaine : Lauren Beukes
Première édition en 2008
Catégorie : roman de science-fiction (anticipation - dystopie)
333 pages

Photo du livre

Afrique du sud, futur proche. Les outils numériques sont plus que jamais un moyen de contrôle. Leur emblème : le téléphone portable, qui vous sert à payer vos courses, à ouvrir la porte de votre immeuble, et à prendre les transports en commun. Il est donc à la fois votre carte bancaire et d’identité. Il est d’ailleurs si indispensable que sa désactivation est devenue une sanction classique en cas de délit. Et plus les faits reprochés sont graves, plus la désactivation est longue. Elle peut même être définitive, vous plaçant de facto au ban de la société.

Les personnages de ce roman – Toby, Tendeka, Lerato et Kendra – se positionnent chacun à leur manière contre ce système : Toby et Tendeka parce qu’ils commettent des actions de protestation illégales (affichages de messages politiques sur les panneaux publicitaires, destructions d’oeuvres d’art officielles, manifestations…) ; Lerato (génie de l’informatique), parce qu’elle les aide dans la mise en oeuvre de leurs actions (piratages en tous genres) et dans le nettoyage des traces compromettantes (suppression des images de vidéosurveillance, des mails…) ; et enfin Kendra, parce qu’en utilisant un argentique pour son travail de photographie, elle s’inscrit en décalage avec cette société où le tout numérique est devenu la norme.

Mais tous portent en germe les éléments de leur propre destruction, et on sent très vite que cet équilibre précaire peut déraper à tout moment. Tendeka se laisse dicter ses actions de rébellion par un mystérieux “Versleciel”, qu’il ne rencontre que sur le net, et qui le pousse toujours à aller plus loin. Lerato efface systématiquement les traces de ses piratages, mais on craint qu’elle se fasse prendre un jour. Et Kendra, alors qu’elle refuse la technologie lorsqu’il s’agit de photographie, accepte pourtant de servir de cobaye pour un nouveau produit de défense immunitaire.

En bref, voici le portrait d’une dystopie très crédible sur notre futur proche.

Moxyland nous projette dans un futur qui nous semble horriblement proche. Car cette société, caractérisée par une surveillance permanente et une forte ingérence du secteur privé, s’appuie sur des technologies qui existent déjà pour la plupart (notamment le smartphone et internet). Pour que Moxyland se concrétise, il ne manque en fait que le basculement politique, qui est déjà en train de se produire puisque de plus en plus nous acceptons une perte de liberté pour plus de sécurité, et une hausse de l’intervention du privé pour mieux assurer le maintien de nos services. La déconnexion en guise de sanction pénale paraît également plausible. Si on la mettait en place aujourd’hui, elle ferait probablement déjà des ravages (même les sans-abri ont un téléphone portable aujourd’hui, preuve s’il en était besoin que cette connexion est devenue primordiale pour survivre).

C’est donc là le grand atout de ce roman : sa crédibilité. Lauren Beukes nous donne d’une certaine façon rendez-vous dans trente ans pour faire le bilan. Et je crains qu’elle gagne sur beaucoup de points.

Autre grand atout : les personnages. En choisissant de mettre en scène des rebelles, Lauren Beukes permet au lecteur de comprendre immédiatement ce qui est reproché à cette société. J’ai par ailleurs apprécié les imperfections de ces personnages, qui participent à leur crédibilité : car malgré leurs critiques à l’égard de leur société, ils ne peuvent pas s’empêcher d’en être des consommateurs. A ce titre, Toby en est un parfait exemple : alors qu’il participe aux actions politiques de Tendeka, il se révèle pourtant accro au numérique, et est même acteur de ce voyeurisme ambiant, en publiant régulièrement des vidéos qu’il filme au quotidien à l’aide d’une caméra fixée sur son manteau (Toby est une sorte de youtubeur du futur). Ces contradictions nous projettent en réalité notre propre reflet : nous qui aujourd’hui critiquons si souvent les effets néfastes du téléphone portable et du numérique, tout en les consommant pourtant à outrance (attention, je ne suis pas ici en train de rejeter les NTIC ! Je suis plutôt en faveur d’un usage intelligent. Voir à ce sujet mon article sur le rapport d’Alain Damasio à la machine).

Si ces imperfections représentent un atout, elles participent néanmoins à rendre les personnages agaçants, énervant par la même le lecteur de temps à autre. Toby notamment, à qui l’on aimerait bien pouvoir donner des claques, tant il se montre nuisible et puéril. Les autres aussi sont agaçants à leur manière : la photographe ne se prend pas assez en main, Tendeka manque de raisonnement dans ses actions politiques, et Lerato est un peu obnubilée par sa carrière et le sexe. Je ne me suis donc pas pris d’affection pour eux.

Le choix même d’insérer quatre personnages principaux au lieu d’un seul amène son lot d’avantages et d’inconvénients : il permet d’introduire une narration dynamique (à chaque chapitre on change de narrateur intradiégétique, variant ainsi les points de vue sur cette société et rythmant agréablement notre lecture), mais nous empêche de nous attacher à eux. Je disais plus haut que je ne me suis pas pris d’affection pour eux parce qu’ils étaient agaçants. Mais peut-être est-ce en fait plutôt lié à leur trop grand nombre : lorsqu’il n’y en a qu’un seul dans un roman, mon esprit fusionne davantage avec le sien ; il m’arrive ainsi d’oublier que je suis un lecteur, me mettant complètement à la place du personnage. Or en changeant de narrateur toutes les cinq pages, cela me rappelle constamment que je suis extérieur à cette histoire, me ramenant au rang de simple spectateur. Je ne reproche toutefois pas à Lauren Beukes ce choix : il faut simplement accepter que ce procédé narratif fasse primer le portrait sociétal sur l’attachement que l’on porte aux personnages.

mon impression

Lauren Beukes nous plonge ici dans une dystopie très réussie : elle projette de façon crédible notre univers technologique dans le futur, et s’appuie sur des personnages adéquates pour questionner cette société. Les dystopies ont toujours vocation à nous interroger sur notre propre société et sur ce qu’on en fait. Ici l’objectif est pleinement atteint, car Lauren Beukes pointe du doigt ce sur quoi nous devons être vigilants.

Ma lecture fut agréable, bien que je regrette un peu que l’on ne se soucie pas davantage du sort réservé aux personnages. Mais peut-être est-ce impossible avec autant de personnages principaux (quatre) sur si peu de pages (333).

Je retiendrai donc ce roman avant tout pour la qualité du portrait dystopique, et pour l’insertion de cette idée de la déconnexion érigée en sanction pénale.


Roman disponible aux éditions Presses de la cité et Pocket.

4 commentaires:

  1. Tu ne nous propose pas quelque chose de très réjouissant.... Bouh, trop de frissons déplaisants semblent promis avec cette lecture.
    Je ne suis pas certaine d'en avoir envie en ce moment.

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    1. Oui je comprends ^^. C'est vrai qu'il faut avoir le moral pour lire une dystopie. Ou pour en regarder aussi d'ailleurs : je suis depuis quelques semaines la série Black Mirror. Chaque épisode a le don de te ruiner le moral pour la soirée.

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  2. Merci pour le retour, je ne l'ai pas vu passer celle-ci, direct dans mes envies 😀

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    1. Oui, en tant que fan de dystopies ça devrait te plaire (j'ai lu ton "à propos hier" ^^). Ceci-dit, ta meilleure connaissance de ce genre pourrait t'amener à être plus sévère que moi. Si je devais comparer avec les autres dystopies que j'ai lues, je dirais que celle-ci est moins complète : elle se focalise sur le quotidien des personnages, et pas tellement sur la compréhension globale du système. Le système politique ne nous est pas décrit par exemple. Mais à mon sens ce n'est pas un problème, simplement une approche différente. On verra ce que t'en penses !

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