Titre : Les Nefs de Pangée
Auteur français : Christian Chavassieux
Première édition en 2015
Catégorie : stricto sensu un roman de science-fiction, mais l’univers imaginé est si éloigné du nôtre et si dénué de technologies que cela se rapproche d’un roman de fantasy.
453 pages
Tous les 25 ans le peuple de Pangée, unique continent de cette planète, envoie une immense flotte de navires chasser l’Odalim, cet animal marin d’une taille impressionnante, capable de broyer un bateau sous ses dents. Pour l’équilibre de Pangée, il est crucial que la flotte revienne victorieuse au port, avec dans ses filets le cadavre d’un Odalim. Car en cas d’échec, 25 ans de malheurs s’abattent sur le continent : mauvaises récoltes, conflits militaires, maladies…
Mais la neuvième chasse à l’Odalim a échoué, la flotte est revenue bredouille. Pour la dixième, Pangée décide donc de redoubler ses efforts : il n’y aura non pas 100 bateaux qui iront traquer l’Odalim, mais 300 ! Le peuple de Pangée a donc 25 ans pour s’y préparer. L’enjeu est crucial : il s’agira cette fois-ci de revenir victorieux. L’échec serait d’autant plus catastrophique que jamais Pangée n’a envoyé autant de navires.
Mais cette chasse est-elle vraiment toujours utile ? Plairil, le “Préféré” de la Vénérable des Anovia (la plus puissante des familles de Pangée) en doute ; il la juge archaïque et estime important de jeter dès maintenant les bases d’un nouvel ordre. Une révolution à la fois politique et culturelle se prépare.
Une fresque historique avant toute chose
Au début du roman le système politique repose sur de grandes familles qui gouvernent chacune une région de Pangée. Dans chacune de ces familles la mère détient le pouvoir ; on la qualifie de “Vénérable”, et elle choisit son bras droit parmi ses fils, qui devient ainsi le “Préféré”. L’économie repose quant à elle sur le partage : on n’achète rien ; l’argent n’existe pas. On rend donc service à quelqu’un en sachant qu’on sera à son tour aidé plus tard.
Pangée est assez peu développée et manque d’infrastructures comme en témoigne le fait qu’une seule grande route traverse le continent. De nombreux investissements seraient en fait nécessaires, sauf que la population n’en a ni le temps ni les moyens : la société dépense essentiellement son énergie pour la construction des nefs qui doivent aller chasser l’Odalim.
Cette fameuse chasse à l’Odalim tient clairement du rite sacrificiel similaire aux sociétés animistes : sacrifier l’animal apporte paix et prospérité ; cela permet d’évacuer la violence des hommes et de concentrer l’ensemble des peuples sur une cause commune.
Cette société va donc connaître un basculement. Le lecteur suit d’un côté les bateaux qui chassent en mer l’Odalim et de l’autre les conflits internes à Pangée. Un troisième groupe d’acteurs se fait par ailleurs attendre, car assez marginal au début du roman : les “Flottants”, ce drôle de peuple qui vit sur l’eau et subit des attaques génocidaires de la part de Pangée. Eux aussi joueront leur rôle dans cette épopée, et de façon assez spectaculaire.
Il s’agit en somme d’une fresque historique, que j’ai trouvée très réussie. La société décrite et les enjeux qu’elle affronte sont formidablement bien décrits et ont exalté ma lecture.
Où sont les personnages ?
Ma question est évidemment provocante, puisqu’il y a bien des personnages. Mais ils sont très mal exploités et assez mal définis. On compte notamment Bhaca, le commandant en chef de la dixième flotte, et Hammassi, sa “conteuse”, qui l’accompagne pour écrire le récit de cette épopée. Tous les deux ont été sélectionnés dès leur naissance par des oracles. Parmi les autres personnages importants, Plairil, le Préféré des Anovia qui va précipiter le basculement de la société, et son frère ennemi “Logal” fidèle à l’ancienne société et protecteur de Bhaca et Hammassi. Une multitude de personnages secondaires font également leur apparition, ainsi que des personnages qui sont sur le devant de la scène de façon temporaire.
Il m’arrive parfois de regretter qu’un auteur ne parvienne pas à susciter chez moi un quelconque sentiment envers ses personnages. Mais là c’est pire que cela : arrivé au bout des 453 pages de ce roman, je n’avais toujours pas l’impression d’avoir cerné les personnages. Ils manquent clairement de profondeur. Pour prendre l’exemple d’Hammassi, certainement le personnage que l’on suit le plus, j’aurais du mal à vous décrire son caractère.
Les personnages manquent d’une certainement façon d’autonomie. Je pense qu’on a besoin d’avoir l’illusion que les personnages existent toujours lorsqu’ils ne sont pas en train de servir la fresque historique. Or ici j’ai l’impression qu’en dehors des moments où ils chassent l’Odalim et qu’ils s’attaquent les uns les autres, ils cessent d’exister. Ils ressemblent trop à mon goût à des pions sur un échiquier.
Je conseille ce roman essentiellement à ceux qui sont toujours à la recherche d’un nouvel univers à découvrir. Celui-ci vaut en effet le détour, d’autant que la relation au sacré (le sacrifice de l’Odalim) est intéressante. Le basculement imaginé est également très riche, et permet ainsi de composer une fresque historique de grande qualité.
Mais fuyez en revanche ce livre si à vos yeux les personnages sont essentiels à la réussite d’un roman. J’ai pour ma part beaucoup souffert de cela, et ai par moment eu l’impression de lire un manuel d’Histoire.
Ce problème s’explique à mon avis par le format de cette œuvre : les péripéties sont tellement nombreuses et les décennies s’écoulent si vite que l’auteur n’a pas le temps de s’attarder sur les personnages. Les Nefs de Pangée aurait en fait gagné à être étalé sur plusieurs tomes.
On sent en tout cas un potentiel énorme derrière Christian Chavassieux. Je reste donc ouvert à la possibilité de lire un autre de ses romans.
Ce roman me semble une grande et belle épopée ; vu la singularité du peuple de Pangée si le lecteur a l'impression de ne pas cerner les personnages, si ceux-ci gardent une certaine étrangeté par rapport aux personnages qui peuplent d'ordinaire les romans, n'est-ce pas plutôt un tour de force, une réussite ?
RépondreSupprimerJe n'ai pas trouvé les personnages étranges. Ils m'ont semblé correspondre à ce que je trouve habituellement en littérature. Non, selon moi l'auteur a fait le choix de ne pas s'étendre plus sur les personnages, au profit du récit de l'épopée. Et encore une fois, au vu de la richesse de l'épopée racontée et du cadre restreint à un seul roman, je peux comprendre ce choix. Le tour de force aurait à mon avis consisté à réussir à marier personnages et épopée en si peu de pages.
SupprimerEt vous, n'auriez-vous pas apprécié que cette oeuvre soit plus étendue, et découpée en plusieurs tomes ?
je comprends votre point de vue mais j'aime cette œuvre telle qu'elle est, très dense, très riche. Il est un peu difficile d'y entrer mais ensuite j'aurais en effet aimé que le roman continue. À être plus étendu cependant, et divisé en épisodes, n'aurait-t-il pas perdu un peu de sa force, de sa puissance épique ?
SupprimerC'est tout à fait possible en effet. Par ailleurs, je suis plutôt un lecteur de "one shot". Je n'aurais donc peut-être jamais lu ce roman s'il s'était présenté comme le début d'un cycle.
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