Titre : Le Lecteur de cadavres
Auteur espagnol : Antonio Garrido
Première édition en 2011
Catégorie : roman historique
719 pages
Dans la Chine Impériale du XIIIe siècle le jeune Ci Song rêve de devenir juge. Il a certes pu commencer sa formation à Lin’an, la capitale, mais la mort de son grand-père a obligé l’ensemble de sa famille à revenir au village pour assurer la période de deuil obligatoire. Ci n’attend qu’une chose : revenir enfin à Lin’an poursuivre ses études.
Mais le sort ne lui est pas favorable : sa famille meurt brutalement et lui-même est accusé d’avoir volé une grosse somme d’argent. Lui et sa soeur rescapée s’enfuient alors de leur village.
Ci n’en oublie pas pour autant son rêve de devenir juge ; il rejoint donc à nouveau la capitale. Extrêmement pauvre il doit toutefois se concentrer en premier lieu sur la recherche d’un emploi. C’est ainsi qu’il en vient à travailler en tant que devin dans un cimetière : aidé de ses connaissances médicales il devient le “lecteur de cadavres”, cet homme capable de prédire comment une personne est décédée.
Bientôt mobilisé sur une affaire de meurtres étranges il va pouvoir mettre en avant ses talents, en risquant cependant la peine de mort s’il s’avise d’accuser des personnes à tort.
Dès les premières pages j’ai su que j’avais affaire à un bon roman : on s’attache immédiatement au personnage de Ci et à ses préoccupations sur son avenir ; la plongée dans cette Chine du XIIIe siècle est parfaitement réussie ; et dès les premières pages on se confronte à une intrigue policière qui permet de bien nous présenter les us et coutumes de cette société ainsi que les relations de pouvoir qui régissent les rapports entre les gens.
Mais il y a tout un tas de bons romans que je n’apprécie pas lire. Avec Le Lecteur de cadavres il m’a justement fallu un certain temps pour savoir si oui ou non je prenais du plaisir à cette lecture. Car la première moitié du texte est très difficile à lire émotionnellement : le personnage en bave tellement qu’on souffre beaucoup avec lui. Il faut toutefois tenir bon : ces pages sont en fait essentielles, elles nous permettent de ressentir les souffrances de Ci et ainsi d’apprécier d’autant plus la seconde moitié du roman. D’une certaine façon cette première partie n’est qu’une préparation de la seconde. 50% sur un roman de 719 pages vous me direz que c’est beaucoup, mais cela en vaut vraiment la peine, je ne le regrette pas.
Je vais par ailleurs un peu vite en besogne en disant que cette première partie n’a qu’un rôle préparatoire. Elle sert une autre fin également, celle de nous présenter les conditions de vie des couches populaires de l’époque. Dans ce roman Antonio Garrido nous dresse en effet un portrait assez complet de cette société, brassant de nombreuses couches sociales. De ce point de vue, chaque page de ce roman joue un rôle fondamental : le lecteur croise aussi bien des agriculteurs que des commerçants, intellectuels et représentants de la classe dirigeante.
Pour réaliser ce portrait sociétal Antonio Garrido a entrepris des recherches importantes, ce qui est très enrichissant sur le plan historique. En postface on apprend d’ailleurs que le personnage de Ci a vraiment existé et qu’il est notamment connu pour avoir rédigé le premier protocole de médecine légale de l’Histoire. Le personnage de Ci est néanmoins très éloigné de son modèle historique : le rapprochement avec ce “premier médecin légiste de l’Histoire” sert avant tout de prétexte. Je ne le reproche d’ailleurs pas à Antonio Garrido puisqu’il ne prétend pas avoir écrit une biographie ou un roman biographique, mais bien un roman historique.
Ce livre se présente également comme un policier. Un certain nombre de cadavres aux marques étranges ont été retrouvés, tous liés d’une manière ou d’une autre à l’empereur. Ci a l’opportunité de travailler sur cette affaire, ce qui peut s’avérer dangereux. Au delà de l’aspect prestigieux du commanditaire de l’enquête (l’empereur), Ci doit naviguer entre différentes personnes de pouvoir, apprendre à ne pas les froisser, et surtout à ne pas accuser de personnes à tort. Or Ci se comporte fréquemment de manière prétentieuse, ce qui agace et lui crée des ennemis. Il doit en outre continuer de cacher sa véritable identité puisqu’il est toujours recherché pour cette histoire de vol qui l’a amené à fuir son village natal.
Cela faisait assez longtemps que je n’avais pas lu de policier. J’aurais donc du mal à vous dire s’il est de haut niveau ou non, mais en tout cas l’enquête de Ci et la résolution de l’intrigue m’ont personnellement beaucoup plu et surpris.
Le Lecteur de cadavres fait clairement partie de mes meilleures lectures de l’année. Je l’ai lu à la fois avec beaucoup d’avidité et en même temps avec de l’intérêt sur le plan historique. Il a d’ailleurs reçu le Prix international du roman historique en 2012, ce qu’il mérite largement. J’en suis même venu à regretter de ne pas lire plus de romans historiques. Je trouve en effet qu’ils m’apportent quelque chose de similaire aux “genres de l’imaginaire” : ils ont cette capacité à me projeter dans un autre univers. Il s’agit certes d’un univers qui a vraiment existé, et non pas d’un lointain futur ou d’une réalité parallèle, mais dans le fond quelle différence ? Je ne connaîtrai pas plus le XXIIe siècle que l’époque impériale chinoise du XIIIe siècle. Les deux correspondent à une réalité cohérente qui pourrait exister ici ou ailleurs et dans d’autres temps.
N’ayez crainte par ailleurs, les aspects historiques de ce roman ne le rendent pas barbant : il s’agit vraiment d’un page-turner, l’intrigue est très prenante. Seule difficulté : survivre aux mauvais moments que le personnage de Ci traverse. On ne ressort pas totalement indemne de cette expérience.
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