Titre : Le Voyage de Simon Morley
Auteur américain : Jack Finney
Première édition en 1970
Catégorie : roman de science-fiction (voyage dans le temps)
538 pages
Simon Morley vit dans le New-York des années 1960 (époque d’écriture de ce roman) et s’ennuie à son travail de dessinateur d’affiches publicitaires. C’est donc avec une certaine excitation qu’il accueille la proposition d’emploi assez étrange du gouvernement : on lui annonce qu’il présente toutes les qualités requises pour intégrer un programme secret. Quelle sera la nature exacte de son travail ? On refuse de la lui communiquer. On lui promet seulement qu’il y prendra beaucoup de plaisir.
Simon accepte le défi et découvre alors qu’il s’agit d’un programme expérimental de voyage dans le temps.
Pour l’heure, personne n’a toutefois réussi le grand saut dans le passé. Et pour cause, il ne suffit pas de s’installer à bord d’une machine et de taper sur un clavier la date de destination. Non, la technique utilisée est bien plus poétique que cela et nécessite une grande préparation du voyageur : elle consiste à s’immerger dans un rôle et une époque, de manière à oublier le présent et parvenir ainsi dans le passé par la force de la pensée. Cela exige de se plonger dans un état psychologique bien particulier, à l’aide notamment des décors, costumes et acteurs que des historiens s’attachent à mettre méticuleusement en scène.
Simon choisit lui-même sa destination – la fin du XIXe siècle à New-York – se donnant pour défi de comprendre pourquoi le grand-père de Kate, sa copine, s’est suicidé.
Pour Simon, le choc est grand : à travers ses multiples voyages il n’est pas seulement bluffé par les tenues vestimentaires, la présence de calèches dans les rues et le style architectural. Bien plus, il se confronte également à d’autres habitudes de vie, d’autres loisirs, d’autres façons de parler, d’autres gestuelles…
En enquêtant sur cette affaire de suicide, Simon nous offre ainsi une plongée dans ce XIXe siècle, tout en nous mêlant à une sombre histoire de chantage. Au début simple observateur, il ne pourra s’empêcher d’interférer de plus en plus avec cette époque, au risque de chambouler son présent.
Voilà un roman d’une grande qualité. Il n’est pourtant pas dénué de défauts, mais on accepte de les oublier, tant l’ensemble a de la valeur. Par souci d’exhaustivité, je vous souligne au préalable les deux défauts qui m’ont un peu gêné :
Le premier concerne les personnages secondaires des années 1960 (les employeurs de Simon et sa copine Kate) qui manquent de profondeur. Kate ne semble exister que pour donner un prétexte à Simon de visiter la fin du XIXe siècle (rappelons qu’il enquête sur le suicide du grand-père de Kate). Leur couple est pourtant relativement bien traité au début ; elle accompagne même Simon lors de sa première visite du New-York de 1882. Mais une fois établi qu’elle ne doit plus retourner dans le passé avec lui, le lecteur n’entend plus parler d’elle, si ce n’est à la fin du roman lorsqu’ils se disent bêtement que leur couple n’a pas fonctionné. Certes Simon est entre-temps tombé amoureux d’une autre personne, mais on ne comprend pas bien pourquoi ses sentiments envers Kate ont disparu. Leur couple paraissait relativement équilibré au début du roman. Et rien n’indique par ailleurs que Kate ait elle-aussi rencontré quelqu’un. On ne comprend donc pas que cette rupture se fasse d’un commun accord.
Deuxième point qui m’a gêné : cette histoire de suicide. Il s’agit de manière trop évidente d’un prétexte pour envoyer Simon précisément dans les années 1880. Il aurait pu choisir n’importe quelle époque, et il se condamne pourtant à se rendre perpétuellement dans la même (aucun changement de spécialité historique n’étant possible), simplement parce que sa copine se pose des questions sur le suicide d’un grand-père qu’elle n’a du reste jamais connu. J’ai trouvé cela un peu léger.
J’ai cependant presque honte de souligner ces deux points négatifs, tant l’ensemble est grandiose et effacera certainement de ma mémoire les babioles qui m’ont gêné. Car disons-le clairement : parmi tous les romans qu’il m’ait été donné l’occasion de lire, il s’agit certainement de celui qui traite le mieux la thématique du voyage dans le temps. Et je ne suis pas le seul de cet avis, comme en témoigne la citation de Stephen King sur la quatrième page de couverture : “LE roman de voyage dans le temps”.
Pourquoi un tel ressenti ? Parce que cette lecture m’a montré ce qu’il manquait dans tous les autres romans de ce type. On est notamment marqué par le regard de Simon sur cette époque : il la regarde vraiment à travers les yeux d’une personne issue des années 1960. Le gros de l’intrigue se passe en 1882 ; on aurait donc pu s’attendre à avoir par moment l’impression de lire un roman historique. Mais non, bien au contraire, on a en permanence conscience de voir cette époque à travers celle d’un voyageur temporel. Dans un roman historique tout un tas de détails n’auraient jamais été relatés, car tout à fait banals aux yeux d’un homme de cette époque : les crachats qui jonchent les pièces collectives (les hommes ayant visiblement du mal à viser les crachoirs tenus à disposition) ; les passants qui s’arrêtent dans la rue pour remonter leur montre lorsque l’horloge centrale sonne ; les visages marqués par la variole ; l’omniprésence des fils télégraphiques ; ou encore le fait que les métros soient tirés par des locomotives à vapeur. La richesse de ce roman se trouve donc en grande partie dans la qualité des observations de Simon.
Je n’entrerai pas dans le détail pour ne pas gâcher votre lecture, mais sachez que vous aurez aussi le droit à une vue des années 1960 par un personnage de 1882, ce qui vaut aussi le coup d’oeil !
Notez toutefois que ce roman ne se contente pas de faire le portrait d’une époque : Simon se retrouve mêlé à une intrigue policière qui contribue à créer des enjeux pour les personnages et à générer un suspens vis-à-vis du dénouement final. Simon tombe par ailleurs amoureux de Julia, la fiancée de Jack, ce qui occasionne quelques sueurs froides et contribuent à rendre Simon très humain.
Enfin, notons à quel point la technique utilisée pour voyager dans le temps est élégante : Jack Finney envoie au diable le principe même de machine, mettant au coeur du processus l’Histoire et la psychologie. Le lecteur assistera ainsi à une scène cocasse dans laquelle un collègue de Simon s’entraîne à oublier son époque d’origine, en s’immergeant dans un décor agité d’acteurs qui simulent une vie quotidienne de 1926.
Un véritable chef d’oeuvre. Si vous aimez la thématique du voyage dans le temps, vous ne pouvez pas passer à côté. Je précise néanmoins qu’il faut aimer les descriptions urbaines : elles s’étalent sur des dizaines de pages, au gré des pérégrinations de Simon. Pour ne pas s’enliser dedans, mieux vaut donc se ménager des plages de lecture assez longues.
Du point de vue historique c’est par ailleurs intéressant puisqu’on s’immerge dans les façons de vivre de cette époque, et on jette un oeil à l'architecture de ce New-York d’autrefois, tellement différent de celui d’aujourd’hui que Simon fait le parallèle avec Paris ! C’est dire la mutation que cette ville a connu en 80 ans.
Le tout est par ailleurs enveloppé dans une très bonne intrigue : le lecteur attend de voir ce qu’il va advenir de Simon, qui prend de plus en plus de risques dans cette époque.
Un roman que je vous recommande donc chaudement.
Il est dans ma wish :)
RépondreSupprimerCool ! J'espère qu'il te plaira autant qu'à moi. Je lirai ton article.
RépondreSupprimertu m'as convaincue
RépondreSupprimer:) Ca fait plaisir. Je trouve que ce livre est assez méconnu. Il faut que davantage de personnes le découvrent !
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