Titre : Le Prestige
Auteur britannique: Christopher Priest
Première édition en 1995
Catégorie : roman de science-fiction
496 pages
Ayant été adopté à l’âge de trois ans, Andrew Westley, né Borden, ne connaît rien de ses origines. Depuis toujours il a cependant la nette impression d’avoir un frère jumeau. Alors qu’il se croit un jour sur sa piste, il fait la rencontre de Kate Angier, une jeune femme qui connaît son passé et qui lui révèle que leurs histoires familiales respectives sont liées par un vieux conflit : tous les deux ont comme ancêtre un prestidigitateur célèbre de la fin du XIXème siècle – Alfred Borden et Rupert Angier – deux hommes qui se sont toujours détestés au point de prendre un malin plaisir à perturber réciproquement leurs spectacles de magie. Leur affrontement s’est notamment cristallisé autour d’un numéro : celui du “Nouvel Homme Transporté” dans lequel Borden parvenait à passer d’un endroit à l’autre de la scène en une fraction de seconde, lui permettant de rattraper au vol le chapeau qu’il s’était envoyé à lui-même. Tour de magie qu’Angier a longtemps jalousé, puis surpassé en créant un tour où il semblait se téléporter à l’autre bout de la salle de spectacle.
Ce roman est l’histoire de cette bataille qui a opposé les deux hommes tout au long de leur vie, au point de rêver chacun de la mort de l’autre. Le lecteur la découvre au travers des journaux personnels des deux magiciens, qui ouvrent une fenêtre tant sur leur vie intime que professionnelle. Journaux qui révèlent bien des secrets, dont certains ont encore des conséquences pour Andrew et Kate, leurs descendants.
Le choix de Priest de présenter la vie de ces deux prestidigitateurs à travers leur journal intime est assez original et permet au lecteur d’épouser l’un après l’autre les deux regards. La première partie du roman se compose essentiellement du journal de Borden, et la deuxième de celui d’Angier.
Cette méthode permet d’une certaine façon de rembobiner l’histoire : vous avez tout vu à travers les yeux de Borden, eh bien recommencez maintenant à travers ceux d’Angier. Cela vous réserve des surprises : certaines réactions de l’un, incomprises dans le premier journal, sont vues sous un autre jour avec le second journal. Cela explique qu’on se sente au début en colère contre Angier, et qu’en changeant de journal ce sentiment bascule par moment dans l’autre sens.
En lisant un journal intime, on pourrait s’attendre à tout découvrir de son auteur. Mais il n’en est rien, et c’est une des forces de ce roman : Borden nous cache des choses, en partie par goût du secret, mais sans doute aussi parce qu’il se ment à lui-même. Ce n’est donc qu’au travers du journal d’Angier qu’on comprend vraiment Borden. Manière de nous rappeler qu’on se connaît rarement soi-même. Il faut donc les deux regards – extérieur et intérieur – pour approcher une compréhension parfaite.
Les deux hommes sont finalement assez proches l’un de l’autre : tous les deux passionnés de la magie et du secret qui l’entoure, tous les deux haïssant l’autre et méprisables dans leurs coups bas. Cela nous renvoie à la thématique du double, omniprésente dans ce roman.
Les bons côtés de ce roman résident vraiment dans la psychologie des deux personnages. Le fait de lire leur journal nous place dans leurs logiques respectives, nous faisant épouser le regard de l’un, puis de l’autre. Mais une fois les deux journaux lus entièrement, on se dit que les deux hommes sont dans le fond assez ridicules au point de ressentir un vaste gâchis qu’Angier finit par reconnaître lui-même : ils se sont bêtement affrontés toute leur vie, alors qu’ils auraient probablement fait de bons coéquipiers.
Ce roman illustre donc à la perfection comment la colère et le ressentiment peuvent se construire, puis s’entretenir, par succession de malentendus et d’absence de dialogue. Car vous ne verrez jamais les deux hommes échanger plus d’une ou deux phrases. Une petite discussion leur aurait pourtant épargné bien des misères.
C’est la période contemporaine qui représente le point faible de ce roman : l’histoire d’Andrew qui découvre son histoire familiale à travers sa rencontre avec Kate. Il paraît en fait évident que Priest a créé cette histoire secondaire uniquement par souci de nous présenter les journaux des deux prestidigitateurs de façon originale. Cela aurait certes été un peu pauvre d’aligner les deux journaux sans les lier par un autre mode narratif.
Malheureusement Priest crée une attente à travers cette histoire secondaire : Andrew ne sait rien de ses parents et est persuadé d’avoir un jumeau, dont il ressent la présence en venant chez Kate. Il éprouve par ailleurs une certaine attirance physique à l’égard de Kate, ce qui laisse penser qu’il va peut-être se passer quelque chose entre eux. Au début du roman, le lecteur s’imagine donc que les deux personnages sont au coeur de l’intrigue, et qu’il y aura des réponses à toutes ces questions. En réalité, seul le mystère du jumeau est finalement expliqué, et de façon assez décevante en comparaison de l’attente créée au début.
Enfin notons que le classement de ce roman dans une collection dédiée aux littératures de l’imaginaire – Folio SF – interroge un peu trop le lecteur, comme c’est malheureusement souvent le cas dans ces romans positionnés aux limites du genre. On passe en effet une bonne partie de la lecture à se dire qu’il doit forcément y avoir une pointe SF ou fantastique qui se glisse dans l’intrigue, mais où ? Classé dans une collection de “littérature générale”, j’aurais lu le roman différemment.
En même temps, cela comporte aussi un certain charme de chercher où se dissimule la présence de la SF. Je vous laisse découvrir par vous-mêmes où elle se trouve. J’ai par ailleurs hésité à classer ce roman dans la SF, me demandant si ce n’était pas plutôt du fantastique. L’explication qui nous est donnée à la fin présente une certaine rationalité, ce qui penche en faveur du classement en SF. Mais nous la savons en même temps impossible : Priest a d’une certaine façon réécrit les possibilités offertes par la science de la fin du XIXème siècle, d’où un côté un peu fantastique ou uchronique.
Un roman assez agréable à lire, que l’on retient essentiellement pour l’originalité du mode narratif (succession de deux journaux) qui réserve bien des surprises, et pour la psychologie intéressante des deux prestidigitateurs.
Mais comme souvent avec Priest, j’ai un sentiment d’inachevé. J’aurais aimé que l’histoire secondaire (Andrew et Kate) soit plus développée, et que son lien avec l’intrigue principale ne soit pas artificiel.
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