Titre : L’île des morts
Auteur américain : Roger Zelazny
Première édition en 1970
Catégorie : roman de science-fiction
186 pages
Il y a de cela de nombreux siècles, Francis Sandow a été formé par une race extraterrestre pour devenir un faiseur de mondes. Aucun humain avant lui n’avait reçu cette précieuse formation, délivrée à un cercle si restreint, que seules quelques dizaines de personnes dans tout l’univers peuvent se targuer d’en avoir bénéficiée. On les dénomme les “Noms vivants”. On raconte qu’en devenant l’un de ces Noms, une divinité religieuse vient les habiter, leur donnant ainsi ce pouvoir de faiseur de mondes.
Francis Sandow croit assez peu au caractère divin de son pouvoir, et s’en sert d’ailleurs de façon pragmatique : il a constitué une fortune colossale en construisant et commercialisant des planètes (il est même devenu la 70ème personne la plus riche de l’univers).
Il vit reclus aujourd’hui sur le monde de Terre Libre, sorte de refuge qu’il s’est bâti. Si cela ne tenait qu’à lui, il n’en sortirait jamais pour s’éviter le moindre risque. Voilà toutefois plusieurs mois qu’un inconnu lui envoie régulièrement des photos d’anciens amis et compagnes, morts depuis longtemps. Après une enquête, il apprend que les copies de leurs esprits ont été dérobées. Or si la réincarnation des morts dans de nouveaux corps est strictement interdite, elle n’est pas impossible. Lui-même y a songé il fut un temps. Se pourrait-il que tous ses proches décédés aient été ramenés à la vie ? Faut-il prendre ces photos comme des menaces, comme des témoignages de leurs prises en otage ?
Francis Sandow se voit alors obligé de quitter son refuge pour se rendre sur l’île des morts, planète où son mystérieux ennemi lui a donné rendez-vous, et qu’il connaît bien puisqu’il l’a lui-même construite. Il croit donc connaître ce terrain d’affrontement comme sa poche, mais se rend rapidement compte que des changements y sont à l’œuvre.
De Zelazny, j’avais déjà lu Le Maître des Rêves qui apportait des idées intéressantes, ainsi que Le Maître des ombres que j’avais bien aimé. J’étais donc tout à fait disposé à lire d’autres textes de cet auteur et m’attendais ici à découvrir un roman a minima de bonne qualité.
C’est donc avec une grande déception que j’ai achevé ma lecture de L’Ile des morts, que j’ai trouvée complètement inintéressante.
L’histoire en elle-même est dans le fond assez classique, et aurait pu fournir une trame captivante. Elle se résume en une phrase : Francis Sandow doit se rendre sur une planète qu’il a lui-même construite pour sauver tous ceux qui lui ont été chers, fraîchement ressuscités par un fou en soif de vengeance. Ce n’est pas d’une grande complexité, ni d’un grand raffinement, mais quelque chose de bien aurait pu en ressortir. Sauf que non, le traitement est nul au possible. On pourrait se dire qu’une telle histoire est l’occasion d’une réflexion du personnage sur son passé, sur ce qu’il est devenu. Tous ses proches ressuscités auraient pu servir de miroir pour étudier sa personnalité. Sandow aurait pu être exalté ou angoissé à l’idée de se retrouver à nouveau face à eux. Ou encore, de façon plus basique et un peu plus hollywoodienne, on aurait pu s’attendre à ce que Sandow soit heureux à l’idée de les voir tous ressuscités, et ait envie de faire son possible pour les sauver. Mais non : tous ces ressuscités ne semblent être que des objets, qui ne suscitent guère de sentiments et d’introspection chez Sandow.
Roger Zelazny n’a donc pas saisi l’opportunité de ces ressuscités pour approfondir en miroir la personnalité de Francis Sandow. Et c’est bien dommage, car il n’est pas parvenu à se rattraper par d’autres moyens. Zelazny croit en fait donner du corps à son personnage en lui attribuant des caractéristiques fortes et originales, mais il n’en est rien. Caractéristiques au nombre de trois : outre le fait d’avoir des amis ressuscités, Sandow se voit également affublé du titre de doyen de l’humanité (ayant vécu de longues périodes sous forme cryogénisée), et semble être habité par un dieu, qui lui procure justement son pouvoir de faiseur de mondes. Tous ces attributs peuvent certes nourrir un personnage intéressant, mais il ne suffit pas de les nommer : il faut ensuite les faire vivre, montrer quel impact cela a sur la personnalité du personnage, créer de l’enjeu autour et lier cela avec l’intrigue. Sinon quel intérêt ?
Je n’en ai malheureusement pas fini avec mes critiques. Parfois les personnages et l’histoire sont mauvais, mais l’originalité des idées SF vient quand même donner un attrait au récit. Malheureusement ce n’est absolument pas le cas ici :
S’il y a bien une règle à respecter en littérature de l’imaginaire selon moi, c’est de n’introduire des concepts de science-fiction qu’à condition qu’ils aient une utilité, soit tout le contraire de ce qu’a fait ici Zelazny. On compte ici notamment deux concepts SF : celui de faiseur de monde et celui des copies des esprits, tous les deux mal exploités et mal amenés :
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Le concept de faiseurs de monde : voilà quelque chose d’extrêment enthousiasmant quand on y pense. Mais à quoi sert-il ici ? Absolument à rien. L’histoire se déroule certes sur une planète que le personnage a lui-même créée, mais cela n’apporte rien. Ne comptez par ailleurs pas sur Zelazny pour vous expliquer comment on s’y prend pour créer un monde.
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Même échec avec le concept des copies d’esprit : que l’on puisse sauvegarder des esprits et les réincarner dans de nouveaux corps est là encore très enthousiasmant au premier abord, d’autant que pour l’époque de publication (1970) on a envie de tirer notre chapeau à Zelazny, tant le concept est brillamment similaire aux copies numériques que l’on retrouvera plusieurs dizaines d’années plus tard dans la hard SF de Greg Egan. Mais malheureusement, là encore ce concept ne sert presque à rien et est mal exploité. Le lecteur se rend bien compte qu’il ne s’agit que d’une ficelle visant à expliquer le retour à la vie des proches de Sandow. Une telle technologie, pour être crédibilisée, doit influer sur la société imaginée. Or ici, on a plus ou moins l’impression que cela n’a strictement rien changé, et que tout le monde a bien gentiment renoncé à l’immortalité sans autre forme de procès, Zelazny se contentant d’expliquer que l’usage des copies d’esprit est interdite.
Certains me répondront que Zelazny n’a pas approfondi ces questions, car elles ne sont pas au cœur de son roman. Je le conçois très bien. Mais à mon sens, on n’introduit pas dans un texte littéraire des idées SF aussi fortes sans les exploiter et donc justement sans les mettre au cœur des enjeux du roman. En d’autres termes, je pense que Zelazny aurait dû se passer de ces deux concepts, ce qui était tout à fait possible : plutôt que d’être ressuscités, ses proches auraient simplement pu être kidnapés ; et plutôt que d’être un riche faiseur de monde, Sandow aurait pu être un riche urbaniste.
S'ajoute à tous ces défauts un enchaînement des actions qui sonne systématiquement faux, et un suspens qui ne tient jamais bien longtemps : Zelazny nous dévoile les secrets de l’intrigue trop vite, nous empêchant de prendre goût à cette enquête et à cette traque dans lesquelles Sandow s’embarque.
Voilà donc une de mes plus mauvaises lectures de ces derniers mois, ce qui représente une déception car de la part de Zelazny je m’attendais à beaucoup mieux. L’histoire est peu intéressante, les personnages manquent de profondeur, et les concepts de science-fiction sont mal amenés et sous-exploités.
Pour ceux qui n’auraient jamais entendu parler de ce texte, je vous invite toutefois à lire l’article du blog Le Culte d’Apophis qui exprime un avis à contre-courant du mien. Le chroniqueur y explique par exemple avoir ressenti du suspens, de l’action, et avoir été “fasciné” par le personnage de Sandow ! La comparaison de nos deux articles pourra donc vous intéresser et aussi vous faire rire. A vous ensuite de faire votre choix !
Les éditions Mnemos ont publié en août dernier une intégrale, reprenant ce roman et d’autres textes inscrits dans le même univers. Au vu des résumés que j’ai pu en lire, il ne me semble pas que ces autres textes permettent d’approfondir les faiblesses de ce présent roman. Je m’abstiendrai donc de les lire. Même le personnage de Sandow semble plus ou moins abandonné, ne devenant plus qu’un personnage secondaire dans la novella Le sérum de la déesse bleue.
Je crois donc qu’il me faudra un peu de temps avant de retenter un Zelazny !
Roman disponible au sein de l’intégrale publiée aux éditions Mnémos, comprenant L’île des morts, sa suite (Le Sérum de la déesse bleue), et cinq nouvelles.
Oho! Là, il y a une paire d'yeux éberlués. Comme quoi les critiques ne sont pas outes unanimes. J'ai l'édition intégrale dans ma PAL.
RépondreSupprimerJ'espère que je ne serai pas aussi déçue que toi.
Désolé pour le délai de réponse, je suis un peu sous l'eau en ce moment. A priori, de ce que je commence à voir de tes goûts, je pense que tu seras a minima moins déçue que moi, et peut-être même que tu aimeras. J'ai eu un long débat sur Facebook dimanche sur ce bouquin avec Lorhkan et Patrick Dechesne, qui m'a permis de mieux saisir, je pense, pourquoi je n'aime pas ce type de bouquins alors que d'autres les adulent. L'Ile des morts fait partie de ces bouquins qui introduisent des idées originales (même si je les trouve sous-exploitées) et qui s'inscrivent dans la réécriture de mythe. A mon sens, ces éléments ne sont pas suffisants pour faire un bon bouquin, mais j'ai l'impression que pour beaucoup de fans de SF cela peut suffire à procurer une lecture plaisante. On verra bien ce que t'en pense !
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