Titre : LoveStar
Année de la première édition : 2002
Auteur islandais : Andri Snær Magnason
Catégorie : roman de science-fiction (contre-utopie)
Nombre de pages : 432
Une nouvelle révolution technologique dans la télécommunication
Dans un futur proche, un chercheur – Lovestar – découvre un nouveau mode de communication : des ondes infimes qui circulent entre les animaux, expliquant ainsi pourquoi chaque membre d’un banc de poissons se mue comme les autres au même moment, mais aussi pourquoi les oiseaux migrateurs sont capables de retrouver le même nid chaque année. Le Monde se révèle saturé de ces ondes, qui offrent un réseau de communication hors pair si on y connecte les hommes.
Cette découverte va révolutionner le monde. Chacun peut désormais se connecter à un papillon, et voir ainsi au travers de ses yeux. Chacun peut regarder un film en connectant ses yeux à la base de données. Chacun peut téléphoner par la simple pensée. C’est comme si tous les êtres vivants de la planète étaient sur Internet en permanence, et incarnaient chacun une entité – un serveur – d’Internet.
Les dérives sont importantes. Cette connexion des corps permet en effet de les manipuler à distance. C’est notamment l’exemple des « aboyeurs » : il est possible de louer l’usage de nos cordes vocales à des publicitaires. Les aboyeurs peuvent ainsi se mettre à énoncer des discours marketing à tout moment, sans aucune possibilité de se retenir de parler.
InLove : chacun a son âme sœur sur Terre
Lovestar est l’homme auquel on doit cette révolution. Il a construit un empire commercial hors normes, qui s’est ensuite étendu à d’autres produits que les communications. Il s’agit notamment de LoveMort, un service d’envoi des défunts dans l’espace de manière à ce qu’ils retombent sur Terre sous forme d’étoiles filantes, et de InLove, un service destiné à trouver votre âme sœur. LoveStar a en effet découvert que chaque être vivant émet un halo d’ondes, qu’il est possible de radiographier. Si l’on pouvait radiographier les halos de toute l'humanité, on se rendrait compte que chacun a son double. Pour trouver votre âme sœur, il suffit donc de traquer la personne qui dégage les mêmes ondes que vous. Et cela fonctionne à merveille : InLove s’emploie à trouver les âmes sœurs, et à organiser les rencontres. Dès qu’elles ont lieu, les deux tourtereaux ne peuvent plus se quitter et sont éternellement épris l’un de l’autre.
Deux histoires parallèles : celle de LoveStar, celle d’un couple en lutte contre InLove
Le lecteur suit deux histoires différentes. Celle de LoveStar, vieillissant, qui constate avec effroi les dérives du monde qu’il a créé. L’un de ses directeurs, Ragnar Ö. Karlsson, pousse toujours la logique commerciale plus loin, transformant tout ce qu’il croise en produit. Il en viendra même à imaginer de rendre payantes les prières des croyants.
Entre deux chapitres sur LoveStar, l’histoire d’un couple qui s’inscrit en transgression complète avec ce nouveau monde. Indriði et Sigríður osent en effet s’aimer en ignorant complètement les services d’InLove. Leur amour leur semble si parfait, qu’ils n’imaginent pas une seule seconde ne pas être deux âmes sœurs. Tout cela est mis en péril lorsque Sigríður reçoit un courrier d’InLove, lui indiquant que son âme sœur a été trouvée. Le couple décide d’ignorer le courrier, et de continuer à vivre. Mais c’est là que les dérives de cette société se dévoilent de plus belle pour le lecteur : InLove met toutes ses ressources à profit pour détruire cet amour, et pousser Sigríður à accepter de rencontrer celui qui doit être sans conteste l’homme de sa vie.
Au premier abord, le monde imaginé ne semble pas si éloigné du nôtre. Lorsque le narrateur nous décrit cette histoire de communication par les ondes, on se dit que ce n’est après tout qu’une sorte d’Internet généralisé. Mais Andri Snær Magnason donne une véritable fraîcheur à ce sujet en imaginant l’impact de cette technologie sur les corps, comme en témoigne l’exemple des aboyeurs.
La possibilité de se connecter à la vision du moindre insecte sur Terre permet en outre d’espionner n’importe qui n’importe où. Ceci permet donc d’adapter à la perfection les stratégies publicitaires. Chacun reçoit sa publicité personnalisée, ce qui n’est pas sans rappeler le suivi des internautes par les cookies. Petit exemple tiré du roman : « Quand Indriði croisait un groupe d’adolescents, il lui arrivait de s’écrier : ”SUPER CHAUSSURES ! QUELLE BRILLANTE IDÉE D’ACHETER D’AUSSI BONNES CHAUSSURES !” La tactique en vogue consistait à convaincre le consommateur d’acheter un objet, puis à le féliciter de son acquisition afin d’encourager ce comportement chez les autres. Ainsi, les produits étaient plus rapidement à la mode ».
Cette citation illustre également la volonté incessante de l’auteur de nous faire rire : il décrit un monde horrible, mais ne prend que des exemples drôles et use abondamment des comiques de situation. Si certains comparent ce roman à 1984, ne vous attendez pas à pleurer ou à trembler d’effroi. Non, vous allez rire tant et plus.
L’auteur choisit d’emprunter des éléments de langage aux contes. Ceci transparaît à la fois dans la narration (un narrateur extérieur, qui nous raconte une histoire au passé, interrompue de temps à autre par des dialogues) et par des éléments fantastiques (Indriði se fait par exemple engloutir par un loup, duquel on peut s’enfuir en ouvrant la fermeture Eclair du ventre). Ce rapprochement avec le conte nous place auprès de la cheminée : c’est notre grand-mère qui nous raconte une histoire effrayante, celle qui pourrait nous arriver si on ne prend pas soin de notre société. Ce roman nous met en garde, en garde contre les dérives du libéralisme, mais aussi contre la difficulté à maîtriser le développement des idées. Car tout cela est sorti de la tête d’un seul homme – LoveStar – qui se décrit lui-même comme étant incapable de ne pas développer une idée une fois qu'il l'a en tête.
Un roman fabuleux, que je suis vraiment heureux d’avoir croisé. La langue est agréable, et l’aspect comique – mais aussi cynique – de la narration permet de regarder le pire tout en gardant le sourire. Il est en effet agréable de lire une dystopie sans ressentir une angoisse et une tristesse permanente à l’égard du destin des personnages. C’est la force de ce roman : il constitue une mise en garde, propre à la dystopie, tout en amusant le lecteur.
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