Titre : L’Ame de l’Empereur
Auteur américain : Brandon Sanderson
Première édition en 2012
Catégorie : roman de fantasy
195 pages
Shai est une Faussaire bien particulière. A l’aide de tampons qu’elle fabrique, elle peut changer l’image d’un objet en modifiant son passé. Pour que la modification réussisse, l’âme de l’objet doit toutefois juger sa métamorphose crédible. Shai peut ainsi donner une apparence luxueuse à une vieille chaise, s’il s’avère qu’autrefois elle était recouverte d’or et de pierres précieuses. Il suffit en effet d’imprimer dans le passé de cette chaise qu’elle a été bien entretenue et qu'elle n'a jamais été dépouillée de ses ornements. Autre exemple : Shai applique une nouvelle peinture sur les murs de sa chambre, en indiquant dans la falsification que l’illustre peintre Atsuko n’avait pas séjourné dans la pièce du dessous, mais dans celle-ci, et qu’il en avait alors profité pour tout repeindre.
Pour falsifier le passé d’un objet, Shai lui applique un tampon fabriqué expressément pour lui, et qui a nécessité de nombreuses heures de travail, voire bien davantage.
Shai est peut-être la meilleure Faussaire de l’Empire. Mais cet art est vu comme une abomination par les autorités. Elles y voient une sorte de sorcellerie, d’autant que Shai est capable de modifier aussi le passé d’une âme humaine. Elle l’a déjà fait pour elle-même, ce qui lui a demandé des années de travail : elle a conçu plusieurs tampons – ses « marques primordiales » – qui la rendent invincible. Chacune peut modifier son propre passé. L’une fait d’elle une femme qui a reçu un entraînement intense en arts martiaux, une autre imprime dans son passé des années à vivre en mendiante dans la rue, sachant se faufiler et se cacher dans la ville.
Shai adore falsifier et prend un plaisir immense à ce que ses faux soient pris pour des originaux. Sur commande, elle a récemment pénétré dans le palais de l’Empereur et échangé le Sceptre de Lune, l’un des joyaux de l’Empire, contre un faux de sa fabrication.
Mais Shai a été prise la main dans le sac, et condamnée à mort. Les « arbitres » – ministres de l’Empereur – la rencontrent cependant pour lui proposer un marché :
L’Empereur a été victime d’une tentative d’assassinat. Les Faussaires officiels sont parvenus à lui redonner un corps fonctionnel. Ses facultés mentales ne sont cependant pas revenues : l’Empereur est une coquille vide. Les arbitres s’en alarment, car leur pouvoir dépend de l’existence de l’Empereur. Si leurs opposants politiques se rendent compte qu’il n’est plus qu’un légume, un nouvel Empereur sera choisi et ses arbitres seront destitués.
Pour conserver leur place, les arbitres acceptent donc de recourir à cette sorcellerie que représente à leurs yeux la falsification de l’âme. Ils demandent à Shai de créer un tampon qui soit capable de redonner à l’Empereur toute sa raison. En échange elle aura la vie sauve.
Shai se doute que la mort l’attend tout de même au bout de son travail, mais cela permet néanmoins de repousser l’échéance, et d’avoir du temps pour échafauder un plan d’évasion. Shai a cent jours pour falsifier l’âme de l’Empereur, autant dire rien en comparaison du nombre d’années qu’il lui a fallu pour créer ses propres marques primordiales. Elle se connaissait par ailleurs bien, ce qui facilitait l’entreprise. Mais là il s’agit de l’Empereur, dont elle méconnaît complètement la personnalité. Elle demande donc à ce qu’on lui donne accès à une grande documentation sur l’Empereur, et notamment à son journal intime.
Lentement Shai va donc s’approprier le passé de cet homme, pour tenter d’appréhender sa psychologie. Elle travaillera notamment avec Gaotona, l’un des arbitres, qui lui servira de cobaye pour expérimenter les différents tampons qui incarnent chacun un sentiment de l’Empereur. Si le tampon fait effet sur Gaotona, qui connaissait bien l’Empereur, c’est donc que Shai a vu juste. Mais les jours défilent et Shai ne sait pas si elle réussira ce travail, d’une difficulté jamais égalée dans son passé de Faussaire. Il semble par ailleurs difficile de s’échapper, d’autant que chaque matin un « Marque-sang » lui applique une petite blessure sur le bras, de manière à posséder en permanence une emprunte de sang frais, et être ainsi capable de lancer ses soldats maléfiques contre elle en cas d'évasion.
Une idée fantastique
Ce roman repose entièrement sur une idée : la possibilité de falsifier un objet en modifiant son passé. Une idée pas si banale, qu’il fallait oser avoir et qu’il fallait réussir à mettre en application dans une histoire. Pour ce qui est du procédé technique de falsification, Brandon Sanderson raconte en postface que tout est parti de tampons qu’il a observés dans un musée de Taïwan, autrefois utilisés par les puissants pour imprimer leur marque sur les œuvres d’art qu’ils aimaient.
Cette idée est vraiment bien rendue dans le roman. Je l’ai trouvée riche d’imagination. Car Brandon Sanderson aurait pu se contenter d’introduire un pouvoir magique capable de transformer l’aspect d’un objet. Mais non, il est allé bien au-delà en créant un système de règles rendant très difficile la maîtrise de la falsification, et l’élevant ainsi au rang de pratique artistique. Pour être une bonne Faussaire, Shai doit notamment témoigner d’un grand sens de l’observation. Il lui est en effet nécessaire de comprendre le passé de l’objet : avec quels matériaux a-t-il été construit ? Avec des pierres de quelle carrière ? Par quels artisans ? Autant de renseignements qui lui servent ensuite d’appui pour modifier l’histoire de l’objet, et ainsi son apparence actuelle.
Lorsqu’une idée originale est développée dans un genre de l’imaginaire, j’aime bien que ce ne soit pas simplement pour en faire un élément de décor. A quoi bon par exemple donner des sabres laser à ses personnages, si cela ne sert qu’à écrire un roman policier qui aurait pu se passer dans un cadre réel ? Ici l’auteur réussit parfaitement à ne pas tomber dans ce travers, car le processus de falsification n’est en rien un décorum, mais bien l’élément central du roman qui sert d’appui à toute l’histoire.
Le procédé de falsification nous est présenté pas à pas, notamment à travers la modification de la chambre de Shai : au début de sa captivité elle vit dans une chambre sans charme, plutôt délabrée, qu’elle va améliorer peu à peu, jusqu’à en faire la pièce la plus belle du palais. Chaque modification opérée nous permet d’en apprendre un peu plus sur la manière dont Shai procède.
Des personnages d’une grande intensité
On apprend peu de choses des personnages, mais l’auteur parvient tout de même à leur donner de l’épaisseur. Shai se souvient par moment des enseignements de ses maîtres, mais le passé des personnages s’arrête ici. Ce qui compte, c’est la tension présente entre les personnages, et notamment entre Shai et Gaotona. L’arbitre est un vieil homme qui avait beaucoup d’affection pour l’Empereur, et qui se montre finalement très réceptif à l’art pratiqué par Shai, même s’il continuera à le qualifier de maléfique jusqu’au bout.
On ressent par ailleurs très bien le stress de Shai, car nous, lecteurs, avons dans le fond les mêmes sentiments qu’elle : nous souhaitons qu’elle réussisse à s’échapper, mais ne pouvons nous empêcher d’espérer qu’elle mène son travail jusqu’au bout pour voir s’il sera couronné de succès. Shai se comporte exactement ainsi, puisqu’elle met parfois de côté ses réflexions sur son évasion pour se concentrer sur son travail qui représente un défi artistique enivrant.
Enfin, notons qu’on en apprend un peu sur le personnage de l’Empereur, puisque Shai doit réussir à sonder ce qu’était son esprit : pourquoi est-il devenu empereur ? Quels liens avaient-ils avec ses arbitres ? Quelle était sa couleur préférée et pourquoi ? C’est d’ailleurs le personnage dont on connaît sans doute le mieux le passé à la fin du roman.
Un fabuleux roman, très court, qui se dévore rapidement. Le lecteur est happé par l’histoire, se demandant si Shai terminera le tampon et si elle parviendra à s’enfuir. Mais au-delà de l’intrigue, ce roman est avant tout la découverte du principe de falsification, une idée très originale qui valait bien un roman pour être développée.
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