Titre : Les Affinités
Auteur canadien : Robert Charles Wilson
Première édition en 2015
Catégorie : roman de science-fiction
324 pages
Adam Fisk suit des études de graphisme à Toronto, loin de sa famille qu’il déteste. Son père est un entrepreneur qui a toujours dédaigné ses choix, regrettant qu’Adam ne marche pas sur ses pas. Adam a également quelques amis, plus ou moins une copine qu’il voit de temps à autre, mais rien qui corresponde à une vie sociale épanouie. C’est alors qu’il se tourne vers la société Interalia qui propose des tests neuropsychologiques permettant de déterminer votre appartenance à un groupe d’affinité. Avec les membres de votre « affinité », vous êtes censé vous sentir parfaitement à l’aise, comme intégré dans une famille idéale qui vous comprend et veut votre bien.
C’est ainsi qu’Adam devient un « Tau ». Dès la première rencontre avec sa « tranche » composée d’une trentaine d’autres Taus du même secteur géographique, Adam ressent une forme d’ivresse en parlant avec les uns et les autres. Tout semble parfait. On lui propose même un toit et un emploi. C’est le début d’une nouvelle vie.
A travers le parcours d’Adam, le lecteur découvre les nouvelles solidarités qui se créent à travers ces groupes d’affinités, au détriment des liens familiaux, sociaux et religieux qui paraissaient pourtant bien ancrés dans la société. Même les Etats semblent déstabilisés par l’arrivée de cette vague. Car bientôt, tout le monde fera son test d’affinité.
Une innovation sociale majeure
Les habitués de Robert Charles Wilson savent que la plupart de ses romans traitent d’un changement société brutal, lié à un événement ou une technologie nouvelle. C’est le cas dans ce roman, mais avec une innovation plus subtile. Car à première vue, le concept des affinités ne semble pas casser trois pattes à un canard : ne s’agit-il pas après tout que d’une énième “astuce” pour rencontrer des gens ? Dans le roman, certains détracteurs évoquent d’ailleurs une secte. Mais au contraire, Wilson montre que si de tels groupes d’affinités fonctionnaient vraiment, on assisterait à une révolution sociale de grande ampleur.
Peut-on parler de roman d’anticipation ? Difficile à dire, car Wilson se base sur une innovation indispensable à la construction de ce futur. Il nous explique en postface que les tests neuropsychologiques décrits dans son roman existent déjà. Mais reste à savoir si les gens qui se rencontrent grâce à ces tests éprouvent la même satisfaction qu’Adam en présence de ses amis Taus. Si c’est effectivement le cas, alors peut-être sommes-nous à l’aube d’une révolution !
S’il est impossible de classer avec certitude ce roman dans l’anticipation, on peut cependant souligner qu’il fait écho à un besoin réel de notre société : face au délitement des liens sociaux traditionnels liés à la religion, aux classes sociales, et même à la famille (pensez à vos aînés en fin de vie coincés dans un mouroir loin de leurs enfants), on se dit parfois que nous aurions bien besoin de groupes d’affinités pour recréer des liens forts entre les hommes. Oui, vous soupçonnez avec justesse ma pointe de jalousie à l’égard d’Adam ! Plus d’une fois dans ma lecture, j’aurais aimé être à sa place.
Tout n’est cependant pas rose dans cette société. Vous connaissez la nature humaine : répartissez la population en différents groupes, et vous créez immédiatement des identités sociales différentes avec des intérêts qui leur sont propres. Et au bout du compte vous obtenez a minima une méfiance entre groupes, et dans le pire des cas des guerres de clans.
Des personnages profonds
Là encore on reconnaît immédiatement Wilson, car les personnages sont d’une grande qualité. Adam Fisk illustre parfaitement les problèmes de cette société : il a des problèmes de famille, il aime éperdument sa tranche Tau, mais désapprouve parallèlement le rejet des autres affinités et des « sans affinités » dont font preuve la plupart des Taus. Adam entretiendra même brièvement une relation avec une femme sans affinité, chose inimaginable pour la plupart des Taus.
Autour d’Adam se greffe une ribambelle de personnages secondaires qui témoignent tous de la pleine maturité de Wilson dans l’exercice d’écriture. Avec autant de personnages (ses deux frères, son père, sa belle-mère, son ex-copine, sa rencontre d’un soir, sa nouvelle copine, son employeur Tau, sa logeuse…) on aurait pu s’attendre à une dispersion, avec par exemple certains personnages pas assez approfondis, voire laissés à l’abandon, ou au contraire tellement présents qu’ils nous auraient faits dériver de l’intrigue principale. Mais non, tout est parfait. On s’approprie leurs différents profils sans difficulté, et on a vraiment l’impression de les regarder à travers les yeux d’Adam. Wilson parvient par ailleurs à relier tout ces personnages dans une dynamique d’ensemble. Chacun d’entre eux semble participer à l’intrigue et au portrait de cette société.
Quel plaisir de retrouver du bon Wilson ! Son dernier roman, Les derniers jours du paradis, m’avait plutôt déçu, mais cette fois-ci je me suis régalé (au passage, précisons que je suis un grand fan de Wilson et que j’attends chacun de ses romans avec impatience). Cet auteur a une recette qui me plaît grandement, et dont le présent ouvrage montre qu’elle n’est pas encore épuisée : il prend pour point de départ notre société, lui assène un choc au travers d’un événement ou d’une innovation majeure, et nous fait découvrir tout cela au travers de personnages forts, souvent sur une période qui s’étend sur un grand nombre d’années. Si je devais retenir un point important de ce roman, c’est l’originalité de l’innovation sociale qui nous est décrite : on pourrait croire qu’elle est banale, se dire même que ce n’est pas de la science-fiction, mais en réalité elle change tout.
Les Affinités se termine en laissant la porte ouverte à une suite (pour ceux qui préfèrent les One Shot, n’ayez crainte, il y a bien une fin à ce roman). J’espère que c’est effectivement le cas, car l’univers imaginé est suffisamment riche pour permettre la rédaction d’un second tome. Je croise donc les doigts !
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