Dans la catégorie “Miroirs SF écrit !”
Titre : En gestation
Octobre 2019
Nouvelle de science-fiction
Environ 8000 signes, espaces comprises
(soit environ 5 minutes de lecture)
Après un mois et demi de silence (fort occupé mentalement par mon nouveau boulot), je réapparais en publiant une courte nouvelle que j’ai écrite cet été en vue d’un concours organisé par la bibliothèque Rilke à Paris.
Le sujet : “La Toile et nous, pour le meilleur ou pour le pire ?”
Thème très large qui a permis aux auteurs de travailler aussi bien sur des textes de SF que de fantastique. La bibliothèque Rilke a organisé une soirée le 5 octobre dernier, lors de laquelle chacun a pu lire son texte. L’expérience s’est révélée très intéressante et nous avons tous passé un bon moment.
Sur les 18 textes lus ce soir-là, ma nouvelle a obtenu le deuxième prix.
J’ai décidé de la publier sur mon blog. J’en ai profité au passage pour ajouter la rubrique “Miroirs SF écrit”, dans laquelle je souhaite ajouter au fil du temps d’autres textes et peut-être vous reparler bientôt de mon roman pour lequel je cherche en ce moment un éditeur.
Ma nouvelle fait moins de 8000 signes, soit à peu près 5 à 6 mn de lecture.
En gestation
Une nouvelle de Jean Guernet
« Lilas, tu as QUARANTE ans. Cesse de fuir. Si tu veux un enfant, c’est maintenant ou jamais. » Katy avait forcé la voix, chose rare. Quelques personnes dans le café s’étaient même retournées. « Regarde-moi droit dans les yeux et promets-moi que tu vas t’y mettre. »
Lilas maintint les yeux baissés sur son café, qu’elle touillait lentement. Elle hésitait à reprocher à son amie le ton qu’elle venait d’employer. Elle choisit de répondre sur le fond du sujet.
« Katy, je préfère rester sans enfant que me retrouver mère célibataire. Et je ne pense pas être faite pour la vie de couple.
– Vous êtes pourtant restées cinq ans ensemble avec Viktoria.
– J’étais alors une personne différente ; j’ai évolué depuis. »
Katy souffla d’exaspération. Elle en avait discuté avec leur groupe d’amis ; il fallait secouer Lilas pendant qu’il était encore temps.
« Tu exagères la difficulté d’élever seule un enfant. Nous ne sommes plus au siècle dernier. » Elle sourit, amusée. « Quand j’y pense, nos grands-parents devaient s’arracher les cheveux. La sécurité de leurs enfants les obligeait à rester sur le qui-vive ; ils devaient chaque jour se préoccuper de leur faire à manger et même de les laver. Te rends-tu compte ?
Aujourd’hui, même l’éducation peut être déléguée à des programmes de grande qualité. Bien sûr, si tu te décides enfin à faire un enfant, je te conseille de lui consacrer un minimum de temps. Mais ce n’est pas bien compliqué : tu likes leurs dessins, de temps à autre tu leur racontes toi-même des histoires, tu joues avec eux. Bref, globalement… » Elle s’interrompit, scrutant son amie.
« Lilas… Tu m’entends ?
– Oui, pourquoi ?
– Tu es devenue floue quelques secondes. »
Cela n’étonna pas Lilas qui faisait de son mieux pour rester concentrée depuis plusieurs minutes. Elle était très fatiguée en ce moment. Son médecin lui avait diagnostiqué une grippe un peu virulente. Elle préférait toutefois s’épargner la gêne d’en parler à son entourage. Il était rare aujourd’hui que l’on ressente les symptômes d’une maladie. Bien souvent, on ne savait même pas que l’on était malade. Les antalgiques effaçaient toute trace de douleur, laissant l’esprit libre des contraintes biologiques. Etre fatigué à ce point n’était pas habituel.
Elle pensa au travail qui l’attendait aujourd’hui. Elle devait tourner une vidéo de promotion sur les cinq cravates tendances du moment. Son client avait encore insisté la veille.
« Veux-tu qu’on aille faire un tour dans une forêt ou sur un bord de plage ? Tu as sans doute besoin de t’aérer l’esprit. Je connais un superbe sentier forestier à seulement 15 minutes de publicité d’ici.
– C’est gentil, mais j’ai du… » Lilas ne termina pas sa phrase. Son avatar venait de disparaître.
Katy resta quelques secondes à regarder la chaise vide. Que venait-il de se passer ? Elle se connecta rapidement à l’espace personnel de Lilas qui indiquait qu’elle n’était pas disponible pour le moment. Katy s’indigna. Son amie lui avait fait l’affront de la quitter en pleine conversation.
Les montagnes tremblèrent, déclenchant d’impressionnantes avalanches de pierres jusque dans la plaine. On distinguait d’innombrables animaux dévaler la pente pour sauver leur vie. Le cœur des femmes accompagnait ces cris de la nature par une montée en puissance de leurs chants.
Au centre de la plaine, les spectateurs contemplaient cette nature déchaînée fondre sur eux. Au dernier moment, juste avant d’être ensevelis, leur point de vue migra en hauteur, rejoignant le ciel fracassé par les éclairs.
A l’horizon, une troupe de chevaux ailés accourait.
« Madame… » Elle sursauta.
« Quoi donc ? » Il lui était décidément impossible d’assister à un spectacle complet.
« On vous demande pour une urgence au ministère de la santé. »
Elle soupira et se tourna vers son époux.
« Philip, je te laisse m’excuser au moment des remerciements et leur dire que j’ai trouvé cet opéra merveilleux. » Il hocha de la tête et elle disparut.
La présidente Fang Taylor jeta un œil à son agenda. On lui avait ajouté une réunion classée à haut niveau de confidentialité. Son conseiller ne savait pas non plus de quoi il retournait, mais il n’hésita pas à user du passe anti-pub pour accéder immédiatement au site du ministère. Il ne l’utilisait que rarement pour épargner à la présidente tout scandale sur des dépenses gouvernementales jugées princières.
Ils apparurent dans une salle de réunion. Sanjay Rahman, son ministre de la santé, était présent, accompagné de deux conseillers.
« Je t’écoute Sanjay. »
Le ministre laissa sa directrice des infrastructures présenter la situation.
« Il y a un peu plus de deux heures, le groupe terroriste Real Life a piraté les canaux de reproduction. Ils sont intervenus depuis la Terre.
– Via des robots ?
– Non, Madame la Présidente, il s’agissait d’un groupe de déconnectés.
– Bon sang ! Il y en a donc encore.
– Ceux-là ont pu être maîtrisés et n’ont heureusement pas eu le temps de communiquer sur leur action. Par contre, leur opération de sabotage a malheureusement réussi. » Elle posa un regard grave sur la présidente, puis poursuivit : « Selon nos estimations, plus de 270 000 personnes avaient des rapports sexuels à ce moment-là. Real life est parvenu à dérouter les… les fluides », bredouilla-t-elle.
Après quelques secondes de silence, la présidente reprit la parole, sèchement : « Dit autrement, vous m’expliquez là que ce ne sont pas les bonnes personnes qui vont tomber enceintes. C’est bien cela ? »
La directrice acquiesça, le regard fuyant.
« Fang, intervint le ministre de la santé, j’ai tourné le problème dans tous les sens. Je pense que la situation n’est en réalité pas bien gênante : il faut se contenter de garder cette histoire confidentielle. Personne n’en saura rien. On peut aisément redistribuer les enfants aux bons couples. Les mères croiront avoir été enceintes, c’est la seule chose qui importe.
- Mais elles vont bien voir que leur enfant ne leur ressemble pas ?
- Madame la présidente, réagit la directrice, de nos jours il n’y a plus aucune ressemblance entre notre avatar et notre corps. Même les traits qui semblent innés chez l’avatar sont en fait des projections mentales des parents.
- Bien. On va donc suivre ton conseil, Sanjay. Il ne s’est rien passé. Rien ne sortira de cette pièce. Veille toutefois à sécuriser les réseaux. Je vais quant à moi avoir une discussion avec notre ministre de la défense. Il m’avait promis avoir fait exterminer tous les déconnectés. »
Après avoir été notifié de la perte de connaissance de Lilas, son médecin s’était connecté de toute urgence à son profil médical et aux caméras de son caisson de vie. Il constata que le robot sage-femme avait débuté son intervention depuis plusieurs heures.
Lilas avait perdu connaissance au moment où le robot procédait à une césarienne compliquée, nécessitant une anesthésie générale. L’intervention était sur le point de s’achever ; les signes vitaux étaient rassurants. Pendant que le premier robot recousait le ventre de Lilas, un second nettoyait le bébé, branchait son crâne et ses orifices aux différents réseaux et le plaçait dans le caisson qu’il conserverait toute sa vie.
Le médecin réveilla Lilas. Une simple anesthésie locale pouvait désormais suffire. Pour la rassurer, il la plaça dans une chambre douillette et se positionna lui-même à son chevet.
Elle ouvrit les yeux et sourit en apercevant son médecin.
« Vous avez atteint le pic de votre grippe ces dernières heures. Vous êtes désormais sur la voie d’une rémission complète. Vous pouvez retourner à vos occupations. Evitez simplement les activités trop fatigantes dans les jours à venir. »
Elle le remercia chaudement pour son intervention qu’elle nota 10/10. Il lui fit un dernier sourire de réconfort et lui indiqua qu’il devait la laisser : beaucoup de ses patientes souffraient de cette grippe en ce moment.
On dirait bien que tu as opté pour le pire de la Toile ! En tout cas une nouvelle qui fait froid dans le dos !! Félicitations pour ton prix :) Et j'apprend par ton post que tu as changé de boulot et que tu as écrit un roman ! J'espère te voir un jour à une table de dédicace alors 😉, En tout cas je te le souhaite !
RépondreSupprimerAh j'en rêve ^^. Mais je ne suis pas certain que ce soit pour tout de suite. Je suis en tout cas tenace et ai de la motivation pour écrire d'autres textes même si mon roman ne trouve pas preneur. Et à défaut je m'auto-éditerai (sans pour autant aller spammer tout le monde pour qu'on lise mon roman ^^. Si je m'auto-édite, ce sera pour que ma famille, mes amis, et ceux qui sont intéressés me lisent). A bientôt !
SupprimerIntéressante cette petite nouvelle. J'aime cette façon de ne rien expliquer de l'univers mais laisser le lecteur le comprendre de lui-même à travers les paroles et actions des personnages.
RépondreSupprimerEncore une vision très sombre du futur... Un futur où tout contact social à disparu.
Ton livre se déroule dans le même univers ?
Merci beaucoup ! Non, mon livre prend appui sur notre monde, mais nous laisse entrevoir une autre réalité qui nous était cachée. J'en dirai un peu plus le jour où j'aurai finalisé son édition. Merci de ton passage sur mon blog !
SupprimerLa réalité cachée : un thème intéressant à traiter en SF, surtout de nos jours où l'information nous révèle une version biaisée de la réalité. Il y a matière à faire avec ce thème. Hâte d'en savoir plus du coup !
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