Titre : La Maison des Derviches
Auteur britannique : Ian McDonald
Première édition en 2010
Catégorie : roman de science-fiction (anticipation)
696 pages
Istanbul, cinq ans après l’entrée de la Turquie dans l’Union européenne. Un attentat suicide se produit dans un tramway : une femme fait exploser sa tête, éclaboussant de sang Necdet qui se trouvait juste à côté. En apparence indemne, il va pourtant dès lors se mettre à voir des djinns partout.
Pendant cinq jours, vous allez partager son quotidien, ainsi que celui de ses voisins, tous habitants d’un ancien couvent de derviches. Parmi eux, le jeune Can, un enfant de neuf ans dont le coeur est si fragile qu’il est susceptible de s’arrêter au moindre bruit violent ; il porte donc des bouchons d’oreilles permanents qui font de lui un sourd. A l’aide de son robot capable de se métamorphoser aussi bien en rat, qu’en serpent ou en oiseau, il va néanmoins se surpasser en enquêtant sur ce mystérieux attentat. Son vieux voisin célibataire, Georgios Ferentinou, tente en vain de l’en dissuader. Pauvre Georgios, ancien grand économiste mis en retraite forcée, qui a subit de plein fouet les répressions et le racisme envers les chrétiens grecs. Il pleure encore son amour perdu, qui a fuit en Grèce dans les années 1980. Dans la maison des Derviches, on trouve également Ayse, une antiquaire qui a accepté le pari fou de trouver la tombe de l’homme mellifié, dont l’existence tient de la légende (cet homme mythique n’aurait mangé que du miel durant les dernières semaines de sa vie, et se serait fait embaumer dans du miel). Son compagnon, Adnan, trader d’une compagnie gazière, se prépare quant à lui à réaliser le coup de poker du siècle à la bourse, de manière plus que malhonnête. Et reste enfin Leyla, jeune femme qui sort de ses études de marketing, et se retrouve à chercher des financements pour une jeune start-up qui développe une technologie de stockage de données informatiques dans l’ADN de notre corps.
Tous ces gens vont vivre une semaine folle, et voir leurs histoires s’entremêler, eux qui pourtant ne se connaissent que de vue.
696 pages, et je peux vous dire que je les ai senties passer ! Au bout de 300 pages, je n’avais toujours pas l’impression que le roman avait démarré. C’est rare, mais là j’étais vraiment sur le point d’arrêter ma lecture. Les critiques élogieuses à l’égard de ce roman m’ont toutefois poussé à tenir bon, peut-être à tort.
De nombreux ingrédients d’un bon roman sont pourtant présents. J’ai trouvé l’univers imaginé très cohérent et assez stimulant : dans cette Turquie de 2027, les nanotechnologies sont devenues omniprésentes. On le voit par exemple chez les traders qui en avalent presque tous pour booster leurs facultés. On apprend même que l’écosystème planétaire en est pollué, au point que certains oiseaux savent désormais compter jusqu’à 10. Quant à l’invention que Leyla tente de vendre, Ian McDonald nous donne le sentiment que notre société va effectivement tendre vers une technologie plus ou moins proche de celle-ci : en parvenant à stocker de l’information dans notre ADN, on comprend qu’il sera bientôt possible d’enregistrer n’importe quoi dedans (un dictionnaire d’anglais, photos, souvenirs...), et surtout de le connecter à internet, faisant ainsi de notre corps une sorte de serveur informatique, en interaction permanente avec l’humanité.
Autre thématique aboutie : la qualité des personnages. Ceux qui ont l’habitude de me lire savent que je reproche souvent un manque d’approfondissement des personnages. Ici, ils sont parfaits et très crédibles : chacun est bien ancré dans une histoire personnelle cohérente, tant du point de vue psychologique que sociologique ; ils semblent tous réellement exister, alors que dans trop de romans les personnages sont caricaturaux, ou ne sont que des coquilles vides qui ont pour simple fonction de nous faire déambuler dans l’univers et l’intrigue imaginés. Non, ici ils sont vraiment excellents. J’ai par contre trouvé assez étrange que Ian McDonald choisisse de faire gagner des personnages dont l’éthique est parfois plus que dérangeante. Je pense notamment à Ayse et Adan, un couple nauséeux. Ayse trempe dans le trafic d’objets d’arts, et aime davantage dans son métier le défi de trouver une perle rare, que le respect de l’histoire et du bien collectif. Adan, quant à lui, est capable de détruire une multinationale pour servir son seul intérêt ; à un moment du roman, il n’est par ailleurs pas loin de commettre un act qui s’apparente plus ou moins à un meurtre. Développer de tels personnages apporte de la crédibilité, car notre société en regorge. Mais les faire triompher me dérange. D’autant que le narrateur extradiégétique ne prend ici jamais parti, se contentant de nous montrer ce que font et pensent les personnages. Can (l’enfant détective de neuf ans) et le vieux Georgios m’ont à l’inverse beaucoup plus touché : leur âme n’est pas corrompue et ils sont même assez touchants, car tous les deux victimes des injustices de la vie.
Un univers riche, de bons personnages… tout cela s’explique en partie par les talents de description de Ian McDonald. C’est d’ailleurs cela qui lui a valu tant d’éloges. Mais c’est pourtant là que naît chez moi une grande difficulté de lecture. Je n’aime absolument pas sa manière d’introduire les descriptions. Son choix narratif fait que l’on bascule d’un personnage à un autre tous les trois - quatre pages ; et systématiquement il introduit cela par une longue description, sans indiquer immédiatement de quel personnage il sera question. Or je suis le genre de lecteur à aimer qu’on le guide. Amenées ainsi, ces longues descriptions m’ont ennuyé. Que l’on ne s’y trompe pas : il y a des romans que j’adore et qui regorgent de descriptions. Mais j’aime qu’elles soient fortement entremêlées avec l’avancée de l’action. En lisant il y a quelques mois Le Chant de Kali de Dan Simmons, j’avais ainsi eu le sentiment de saisir avec précision les atmosphères de rues, tout en étant pris dans une certaine tension qui maintenait mes sens en alerte.
Je n’ai pas non plus raffolé de l’histoire, ce qui n’aide pas. Ou plutôt des histoires, car ces personnages ont beau habité au même endroit, j’y ai vu avant tout une juxtaposition de destins individuels. En outre, si la quatrième page de couverture annonce que l’avenir de la Turquie va se jouer ici, en réalité je n’ai pas trouvé que l’histoire collective de ce pays était vraiment modifié au cours de ces cinq jours. Bref, grande déception sur les différentes intrigues qui se jouent. Sans doute aurais-je pris plus de plaisir si ce roman avait été ramassé sur 300 ou 400 pages.
Un univers et des personnages intéressants, qui ne suffisent pas à mon sens à faire un bon roman. J’ai vraiment eu des difficultés à le lire. L’auteur noie à mon sens son intrigue dans une surdose de descriptions et ne parvient pas à susciter une attente. Et en s’étalant sur 700 pages qui auraient pu être diminuées de moitié, il accentue à mon sens cet effet de lenteur.
Reste que ce roman a reçu les prix John W. Campbell, British Science Fiction Association, et Planète-SF des Blogueurs. Mon avis ne fait donc absolument pas l’unanimité ! Lisez par exemple l’article d’Anudar, qui parle d’une “magistrale réussite”, celui de Lutin82 qui dit avoir été “captivée par ce conte moderne et hypnotisant”, ou encore celui de Samuel Ziterman qui en redemande encore.
En regardant dans le détail les commentaires de ces bloggeurs, je m’aperçois en fait que je suis à peu près d’accord sur les points forts qu’ils mettent en avant : oui l’auteur a fait un grand travail de documentation, fait un bon pied de nez à l’intégrisme islamique et opéré une plongée dans une Istanbul très crédible et fascinante. C’est peut-être sur l’intrigue, que je me différencie le plus d’eux : elle les a emportée, moi non. Je ne considère notamment pas que les intrigues respectives des différents personnages s’imbriquent bien : l’assemblage d’ensemble est à mon sens artificiel, et n’est là que pour justifier le récit de plusieurs histoires différentes dans un même univers. Sans doute aurais-je préféré un recueil de nouvelles se passant dans cette même Istanbul.
Roman disponible dans les collections Lune d’encre et Folio SF
Dommage que l'intrigue ne t'ait pas convaincu. Effectivement tu as dû les sentir passer les 700 pages. Quoi qu'il en soit tu en fait un bon retour, malgré tout.
RépondreSupprimerIan McDonald n'est pas le genre d'auteur à accompagner le lecteur, du coup je suis pas sûr que ses autres romans te conviendraient.
Merci pour le lien.
Oui j'hésite à lire ses autres romans. Lutin82 me conseille toutefois Luna. Il faudrait que je replonge dans les articles écrits sur Luna pour voir si je peux m'y risquer.
SupprimerMais La Maison des Derviches comme pas mal de romans de McDonald (sauf Luna) sont assez clivant. Il y a ceux qui aiment d'où les critiques élogieuse (dont je fais partie) et ceux qui n'aiment pas. Les styles conviennent ou pas. Personnellement j'ai adoré cette langueur. J'avoue que je ne sais pas si ce choix de rythme (ou d'absence de rythme) passerait avec beaucoup d'auteurs. Car l'autre point qui m'a séduit et a participe à ma perception très positive, ce sont les personnages.
RépondreSupprimerJe suis totalement d'accord avec toi sur les points forts même si je mets en avant d'autres petites choses qui m'ont également plu.
Tente Luna qui sera, je pense davanatge dans tes attentes.
Merci pour le lien!
Il faut alors que je regarde ton article sur Luna ! Je suis sûr d'avoir déjà lu des articles sur Luna (peut-être même le tien), mais j'ai la mémoire courte ^^. Il n'est pas dans ma liste de lectures pour l'instant.
SupprimerSur le côté clivant, je ne m'étais pas rendu compte de cela : par un curieux hasard tous les blogs que je fréquente régulièrement (dont le tien) ont adoré La Maison des Derviches. Je me sens donc un peu moins seul grâce à tes références à d'autres lecteurs insatisfaits ^^.
A bientôt